Mythes autour du viol. Partie 3 : Les mythes sur le viol restreignent la liberté des femmes

Partie 1 : Quels sont ces mythes ? Qui y adhère ?
Partie 2 : Les conséquences pour la victime
Partie 3 : Les mythes sur le viol restreignent la liberté des femmes
Partie 4 : Conséquences sur la propension au viol
Partie 5 : Les mythes sur le viol dans les médias

Après avoir vu ce qu’étaient les mythes sur le viol, qui y croyaient, et ce qu’ils pouvaient entraîner sur le rétablissement des victimes, nous allons voir comment ils peuvent permettre de restreindre la liberté de toutes les femmes.

femme la nuit

« Une femme ne devrait pas sortir seule la nuit » entend-on souvent.

Des injonctions et des conseils inappropriés

Nous l’avons vu, les mythes sur le viol permettent de blâmer la victime et de déresponsabiliser l’agresseur1.  Ainsi, avec ces mythes (« elle n’avait qu’à pas : sortir seule la nuit/s’habiller comme une pute/boire autant/l’allumer… »), la société demande aux femmes d’éviter d’être violée en suivant certaines règles : limiter ses déplacement, ne pas sortir sans être chaperonné par un homme, toujours avoir l’air chaste et être vigilante, par exemple. Ces mythes sur le viol ne sont donc rien d’autres que des injonctions données aux femmes, leur disant comment se comporter. Des études inter-culturelles ont ainsi prouvé, qu’au niveau sociétal, l’adhésion aux mythes sur le viol est corrélée à des attitudes restreignant le rôle des femmes, qu’on soit aux Etats-Unis, en Turquie, en Israël ou en Allemagne2–4.  Ce sont donc des outils qui limitent la liberté de déplacement des femmes et leur font croire qu’elles sont dépendantes des hommes pour leur sécurité. Cela peut paraître assez ironique, quand on sait que les femmes ont en moyenne moins de chance de se faire agresser dans la rue que les hommes4.

Comme le viol a jusque dans les années 1980 été défini comme un crime commis essentiellement par des étrangers, la prévention s’est longtemps focalisée sur certains conseils donnés aux femmes : ne pas sortir la nuit, ne pas porter des jupes trop courtes ou encore, ne pas boire5… On a critiqué ce type de recommandation comme restreignant la liberté des femmes, mais on en retrouve encore dans les livre d’auto-défense ou dans la bouche de certains officiers de police5 (le fameux : « Evitez de vous habiller comme des salopes si vous ne voulez pas vous faire violer.»). Ce genre de conseils implique que le viol est majoritairement commis par des étrangers, la nuit et dans des endroits publics. Or ce type de situation est pourtant rare : seulement 25% des viols sont commis par des inconnus6 ; le crime a lieu au domicile de la victime dans environ 65% des cas7. Enfin, seulement la moitié des viols a lieu la nuit8.

Un climat de tolérance pour les agressions sexuelles

Par ailleurs, les mythes sur le viol contribuent à un climat de tolérance pour les agressions sexuelles. Or plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse que le viol et les agressions sexuelles sont des mécanismes permettant de maintenir les inégalités entre sexes et de montrer aux femmes quelle est leur place dans la société.  Susan Brownmiller est même allée jusqu’à dire que le viol « n’est rien de moins qu’un processus d’intimidation, conscient ou inconsciemment, par lequel tous les hommes maintiennent  toutes les femmes dans la peur»9. S’il est sans doute difficile de prouver que le viol est un processus d’intimidation conscient, plusieurs données suggèrent indirectement que la peur du viol a pour effet d’intimider les femmes4 :

  •  Au niveau sociétal : les sociétés présentant une forte prévalence de viol sont caractérisées par de fortes inégalités entre les sexes, en termes juridiques, de statut social, d’accès au pouvoir et aux ressources4,10,11.
  •   Au niveau individuel : il a été montré dans une étude de 1981 que la peur du viol, – particulièrement présente chez les femmes pauvres, âgées, ou appartenant à des minorités ethniques – est corrélée à des comportements d’auto-restriction (notamment limiter ses mouvements, porter des chaussures permettant de courir)4,12.

Par ailleurs, selon cette même étude de 1981, environ 43% des femmes disent avoir peur la nuit dans la rue, contre seulement 17% des hommes4, ce qui montre bien que les femmes sont en moyenne plus intimidées lorsqu’elles se promènent seules. Une étude de 2009 portant sur près de 2000 personnes a montré que les femmes sont en moyenne plus inquiète que les hommes à propos de tout type d’agression (viol, attaque physique, vol) .Cela n’est pas cohérent avec le fait que les hommes sont en moyenne moins en sécurité dans la rue que les femmes, car plus susceptibles de subir des crimes violents4,13.

Peur du viol

Beaucoup de femmes ont peur de sortir seules la nuit

Relation de cause à effet entre prévalence des agressions sexuelles et inégalité des sexes

Tout cela suggère qu’il y a une corrélation entre prévalence des agressions sexuelles et inégalité des sexes. Trois hypothèses peuvent alors être émises :

  1. L’inégalité des sexes génère les agressions sexuelles
  2. Les agressions sexuelles génèrent une inégalité des sexes (hypothèse de Brownmiller)
  3. Il n’y a pas de relation de cause à effet directe entre l’inégalité des sexes et les agressions sexuelles.

A noter que les hypothèses 1 et 2 ne sont absolument pas incompatibles ; à l’inverse, l’hypothèse 3 n’est pas compatibles avec la 1 et la 2.

L’hypothèse 1 a notamment été confirmée par une étude sur 100 hommes14, montrant que le niveau de sexisme hostile d’un individu prédit sa propension à violer, c’est-à-dire sa tendance à déclarer qu’il agirait comme l’agresseur, s’il était sûr de ne pas se faire attrapé, quand on lui décrit une situation de viol.

estime en soi

Penser au viol diminue la confiance en soi de certaines femmes

L’hypothèse 2 a été vérifiée par plusieurs expérimentations. Une première, réalisée en 198315, montre que quand des femmes lisaient un article décrivant un viol, leur estime de soi diminuait, par rapport à un groupe contrôle qui n’avaient pas lu cette description. De plus, elles semblaient mieux accepter les rôles genrés traditionnels car elles étaient en moyenne plus d’accord avec des affirmations comme « Les femmes devraient moins s’occuper de leurs droits, et tâcher d’être de bonnes mères et de bonnes épouses » ou encore « on devrait plus encourager les garçons à faire des études que les filles ».

 Une étude semblable, réalisée en 1993 par Bohner, a inclu des hommes16. Elle a montré que l’estime de soi des hommes n’était pas diminuée par la lecture d’une description de viol. Au contraire, leur confiance en soi était augmentée, en particulier quand ils adhéraient fortement aux mythes sur le viol ! Bohner et collaborateurs ont également pu déterminer qu’en réalité, seules les femmes adhérant peu aux mythes sur le viol voyaient leur estime de soi diminuer. En effet, la confiance en soi des femmes adhérant fortement à ces mythes augmentaient quand elles avaient lu un scénario de viol, comme les hommes. Cela tient  sans doute au fait qu’elles considéraient que seules certaines femmes étaient victimes de viol, et qu’elles s’excluaient de cette catégorie ;

Bohner et al. ont également regardé l’impact qu’avait sur l’estime de soi la lecture d’une description d’attaque contre un homme. Apparemment, penser à une agression physique n’induit pas une forte diminution de l’estime de soi, que ce soit chez les hommes ou les femmes. Cela est donc spécifique au viol.

Ces travaux confirment donc l’hypothèse 2 selon laquelle les agressions sexuelles – favorisées par les mythes sur le viol – permettent d’exercer un contrôle sur toutes les femmes, en les intimidant.

Conclusion

En conclusion, les mythes sur les viols ne sont rien d’autres que des injonctions données aux femmes pour qu’elles limitent leur liberté. Par ailleurs, ces mythes sur les viols entretiennent un climat favorable pour les agressions sexuelles, qui permettent elles-mêmes de contrôler les femmes.

Références

1. Page AD. Judging Women and Defining Crime : Police Officers’ Attitude Toward Women and Rape. Sociological Spectrum. 2008;28:389-411.

2. Costin F, Kaptanoḡlu C. Beliefs about rape and women’s social roles: A Turkish replication. European Journal of Social Psychology. 1993;23(3):327-330.

3. Costin F, Schwarz N. Beliefs About Rape and Women’s Social Roles. Journal of Interpersonal Violence. 1987;2(1):46 -56.

4. Buss DM, Malamuth NM. Sex, power, conflict: evolutionary and feminist perspectives. Oxford University Press; 1996.

5. Ullman SE. A 10-Year Update of « Review and Critique of Empirical Studies of Rape Avoidance ». Criminal Justice and Behavior. 2007;34:411-429.

6. Anon. Bulletin 2006. Collectif Féministe Contre le Viol; 2006.

7. Fondation Bernheim (Bruxelles), Zucker D. Viol : approches judiciaires, policières, médicales et psychologiques : actes du colloque. Bruxelles: Kluwer; 2005.

8. Anon. Bulletin 2003. Collectif Féministe Contre le Viol; 2003.

9. Brownmiller S. Against Our Will: Men, Women, and Rape. 1975.

10. Sanday PR. The Socio‐Cultural Context of Rape: A Cross‐Cultural Study. Journal of Social Issues. 1981;37(4):5-27.

11. Barron L, Straus MA. Four theories of rape: A macrosociological analysis. Social Problems. 1987;5(34):467-489.

12. Riger S, Gordon MT. The Fear of Rape: A Study in Social Control. Journal of Social Issues. 1981;37(4):71-92.

13. Zohor, D, Vanovermeir S. Des insultes aux coups : hommes et femmes inégaux face à la violence,  Études sociales, Insee. 2006

14. Masser B, Viki GT, Power C. Hostile Sexism and Rape Proclivity Amongst Men. Sex Roles. 2006;54(7-8):565-574.

15. Schwarz N, Brand JF. Effects of salience of rape on sex role attitudes, trust, and self‐esteem in non‐raped women. European Journal of Social Psychology. 1983;13(1):71-76.

16. Bohner G, Weisbrod C, Raymond P, Barzvi A, Schwarz N. Salience of rape affects self‐esteem: The moderating role of gender and rape myth acceptance. European Journal of Social Psychology. 1993;23(6):561-579.

15 réflexions sur “Mythes autour du viol. Partie 3 : Les mythes sur le viol restreignent la liberté des femmes

  1. il est vrai qu’en égypte le viol et l’atteinte à la dignité de la femme est utilisée comme moyen de répression par les militaires et certains co***** pendant les manifestations. mais je dirais que l’habit de la femme n’est le seul mythe qui pourrait «  »contraindre » »(??????!!!!!!!!)l’homme à la violer mais il veux aussi montrer qu’il est le dominant dans certains cas.(l’acte sexuel devient alors plus que sexuel mais plutôt une démonstration de force). et j’appellerais volontiers la deuxieme partie: Un climat de tolérance pour les agresseurs sexuels et si certaines femmes n’étaient pas la pour conforter ces mythes (en rabaissant une partie de la population féminine) peut être que ça irait mieux.

  2. Content de voir que tu prends à cœur ta vocation féministe, pour ma part, j’ai désormais tendance à me considérer plus antisexiste et un peu moins féministe, ce qui dans double sens est logique, mais ce n’est pas a cause de choses lues tout récemment (enfin pas que) … Mais bon dans tout les cas je suis de ma propre pensée, donc il n’y a aucun mot réel pour la définir.

    Mais si je devais un jour me consacrer à une grande cause, je choisirais les animaux, sans distinctions de leurs sexes. J’ai beaucoup d’admiration pour Brigitte Bardot. Et puis après tout dans les animaux on peut aussi y inclure les humains et même peut être les escargots, entre autre….

    Pour les mythes et les viols, moi pour comprendre, c’est très simple, l’empathie (qui est en fait un concept extrêmement vaste et complexe) aide à se placer naturellement à la place de quelqu’un d’autre et à comprendre se qu’il pense ou ressent, mais bon ça marche mieux avec une seule personne, cela explique peut être la monogamie de couple chez les humains. Mais l’empathie ça marche aussi avec les animaux, j’ai toujours adoré interagir et observer les comportements des chats et chiens et autre.

    Mais moi l’empathie j’avais toujours considéré ça comme un problème pour moi, je n’ai jamais réussi a faire comprendre pour quoi au collège pendant certains cours de biologie je me sentais mal ou pourquoi quand je vois tout d’un coup une scène macabre ou glauque j’ai tout d’un coup envi de vomir… au premier degré, et surtout quand ça concerne les animaux (en général les humains c’est censuré). Paradoxalement les douleurs a moi-même je n’ai jamais craint, enfant je ne bougeais pas pendant les piqures et je me sais fait recoudre des plaies sans anesthésie sans sourcilier, de plus j’étais casse coup, je grimpais aux arbres des mon plus jeune âge, etc… Mais le jour ou j’ai pêché mon premier (et dernier) poisson un peu par hasard vers 9 ans, après l’avoir ramené, j’ai du le tuer pour abréger ses souffrances et ça ma quasi-traumatiser, d’ailleurs je me rappelle encore de ses yeux et de la bouche suffocante, ça me donne la nausée rien que d’y repenser… Alors que si je me blesse, ç’est une douleur que je localise, et paradoxalement je supporte mieux, c’est difficile a expliquer, je n’ai jamais réussi a le faire comprendre, mais je mets ça sur le compte de l’empathie, enfin je crois.

    Pour en revenir aux viols, ca me rappelle d’ailleurs que le chien de ma mère, pourtant mâle et un peu macho sur les bords ne semble pas avoir non plus de pulsions sexuelles particulières et encore moins avoir un profil de violeur….. Ha mais je me rappelle qu’il avait été castré… ouch le pauvre…. Enfin… il n’est pas au courant donc peut encore aller 😀
    Sinon bien écrit ton article même si quelques phrases m’ont un peu fait réagir, sur la façon dont ça peut être interprété,(comme : tout les hommes, etc…) mais bon, pas envie de me prendre la tête et c’est pas mal quand même.
    @++

  3. Pas mal!
    Par contre je trouve que tu as tort de considérer que a frustration sexuelle n’est pas une cause de viol. Pour moi, elle justement le chainon explicatif entre les inégalités et la violence sexuelle (qui renforce elle-même les inégalités).
    Les inégalités créent de la frustration sexuelle, parcequ’elles s’accompagnent généralement d’une surincitation à la pratique sexuelle chez les hommes et d’une sous-incitation chez les femmes ainsi que de la confiscation de l’accès aux femmes au-profit de certains hommes (ceux qui sont assez haut dans l’échelle sociale pour pouvoir se marier, encore renforcé dans les systèmes polygynes). La violence sexuelle renforce les inégalités (peur de la violence sexuelle pour un groupe, banalisation pour l’autre, etc…)

    je sais pas si c’est très clair, j’ai un peu la tête dans le cul…

    • Ouais, mais comment expliques-tu, alors, que les agresseurs sexuels se trouvent équitablement chez toutes les couches sociales ? Il y a autant d’agresseurs chez les PDG de grandes entreprises, que chez les cadres supérieurs et que chez les ouvriers. Or, les PDG ont sans doute plus facilement accès aux femmes… (puisqu’encore maintenant, les femmes sont attirés par les hommes au statut social élevé).

      Ensuite, mais c’est vrai que d’après tout ce que j’ai lu on manque beaucoup d’informations à ce sujet, la castration chimique ne marche que dans très peu de cas.

      • Bon argument, celui de l’indifférence de la classe sociale.
        Pour la castration chimique, ça n’en est pas un: je n’ai pas dit que le désir sexuel n’était pas une construction sociale, d’une part, et d’autre part certains hommes ont encore des érections sous traitement hormonal.
        Ce qui me gène c’est d’évacuer la question de la frustration sexuelle qui pour moi est un vrai problème de société (mais pas vraiment le sujet du débat).

  4. Super bien documenté cet article !

    « … l’estime de soi des hommes n’était pas diminuée par la lecture d’une description de viol. Au contraire, leur confiance en soi était augmentée … »

    Comme quoi, on est bien en présence d’un désir de domination que partagent la plupart des hommes. D’ailleurs, le viol est l’un des scénarios favoris des films pornos: on est bien là dans le plaisir de la domination.

    Mais la déconstruction des mécanismes politiques (dominer, contrôler) et culturels (maintenir une inégalité entre les sexes) du viol est très difficile à faire passer. Il est plus confortable de continuer à penser que le viol est le fait de détraqués isolés. Comme Marcela Iacub qui avance qu’ils s’agit de quelques malades. Mais entre les violeurs et ceux qui prennent plaisir à lire/regarder des scènes de viol, ça fait beaucoup de malades d’une part et ça voudrait dire que les hommes seraient nettement plus prédisposés à cette pathologie. Le jour où elle trouve le gène responsable, je veux bien qu’elle me tienne au courant.

    • Merci Hélo 🙂 !

      En fait les auteurs avancent plusieurs hypothèses à propos de cette augmentation de l’estime de soi des hommes face à un récit de viol :
      – ils s’identifient au violeur et voient le viol comme une manière de se valoriser (:s)
      – au contraire, ils sonnt fiers d’eux de ne pas faire partie de cette catégorie de « malades » que sont les violeurs.

      Curieusement, les femmes adhérant aux mythes sur le viol voient aussi leur estime de soi augmenter. D’après les auteurs, c’est parce qu’elles s’identifient pas à la catégories des victimes, qui seraient des femmes bien particulières : des imprudentes, des « putes », qui l’ont mérité.

      Je suis d’accord, Iacub raconte n’importe quoi

      • Ne serait-ce pas le symptôme du justicier par procuration… Je ne l’aurais pas touché cette « salope », mais il a bien fait de la remettre à sa place…

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