Bonus : Complimenter et être complimenté

Comme vous avez pu peut-être le constater, mon blog n’a pas été mis à jour depuis longtemps. Beaucoup de travail et un déplacement à l’étranger m’ont un peu ralentie. De plus, je travaille actuellement sur un article sur la parole et les conversations. Or la littérature est très riche à ce sujet : réussir à lire plusieurs articles et à avoir une vision synthétique du sujet  n’est pas évident et me prend du temps.

Dans cet article, j’ai écrit un paragraphe relativement long sur les compliments. Mais je me rends compte à présent qu’il est disproportionné et trop développé par rapport au reste… Je vous le livre en « bonus » car j’ai quand même pas mal travaillé dessus et je trouve ça dommage de tout simplement le supprimer. Cela me permettra par ailleurs de vous livrer quelque chose à lire en attendant le prochain article. 🙂

Ambiguïté du compliment

Un compliment est généralement un acte de politesse, qui a pour objectif de faire plaisir à son interlocuteur. Cependant, dans certaines situations, un compliment peut sembler menacer  l’espace privé de celui qui le reçoit, ou encore être sarcastique, offensant et ironique. Ainsi, si par un exemple un homme dit à une collègue « Tu es super sexy aujourd’hui. Il faudra que je t’offre un verre un de ces jours. », ce compliment est menaçant, nous seulement parce qu’il s’apparente à du harcèlement sexuel, mais également parce qu’il oblige son interlocutrice à être disponible pour boire un verre1.

Répondre au compliment : l’accepter ou non

Par ailleurs, répondre à un compliment pose problème, car l’interlocuteur est face à un dilemme à cause de deux principes de la conversation 1. Être d’accord avec l’interlocuteur 2. Eviter de se vanter2. Il est donc parfois inconfortable d’être complimenté. D’après une étude de Herbert de 1990 portant sur 1062 conversations issues d’un compliment3, seulement un tiers des compliments sont acceptés (souvent par un « merci » ou un sourire), et souvent de manière gênée.

Quand les deux interlocuteurs sont de statut égal, celui qui reçoit le compliment l’accepte peu souvent et fait des réponses comme « Oh, mais ce pull est vieux, tu sais », « Oh, tu sais, c’est vraiment pas compliqué à faire », ce qui signifie en somme « je sais que ton compliment servait à me faire plaisir, mais j’évite de me vanter, et ainsi je signifie que nous somme égaux »1. A l’inverse, les compliments sont plus souvent acceptés quand ils proviennent d’une personne de niveau social plus élevé1,4. Une étude montre d’ailleurs que c’est en général les dominants qui complimentent le plus les dominés, notamment en ce qui concerne les compétences1 : en effet, ce sont eux qui  sont en position de juger.

Qui complimente qui ?

Conversation au travail : qui risque de complimenter qui ?

Conversation au travail : qui risque de complimenter qui ?

Des différences moyennes apparaissent entre les sexes : dans l’étude de 19903 de Herbert, il a été montré que les femmes se complimentent beaucoup entre elles, tandis que les hommes se complimentent très peu entre eux. De plus les femmes ne complimentent pas de la même façon, puisqu’elles utilisent beaucoup plus fréquemment des termes qui ont un rôle d’intensifieurs comme  quel/le  ou  si (« Quelles belles chaussures ! » « Ta coupe te va si bien »)5. A l’inverse, les hommes emploient des formulations qui atténuent le compliment5. Cela est congruent avec l’ensemble de la littérature, selon laquelle le style de conversations des femmes est plus social et plus basé sur les émotions, que celui des hommes. Par contre, l’étude d’Herbert a montré que les hommes complimentent plus les femmes que l’inverse. Une étude de 1988 effectuée en Nouvelle-Zélande a donné des résultats semblables6,5.

Mais là où le contraste est le plus saisissant, c’est que les compliments des femmes sont beaucoup plus difficilement acceptés que ceux des hommes, surtout quand ces compliments masculins sont adressés à des femmes3. De même, l’étude de 19885 a montré qu’une femme de haut statut est deux fois plus complimentée qu’un homme de même statut, comme si le fait d’être une femme diminuait son statut. Holmes a également noté que les compliments sur l’apparence sont rares entre binômes homme-femme de statuts différents. A l’inverse, les compliments sur la compétence proviennent d’hommes de statut supérieur et sont adressés à des hommes de statut inférieur OU proviennent d’hommes de n’importe quel statut et sont adressés vers des femmes, de n’importe quel statut5. Cela semble bien indiquer que le fait d’être un homme induit automatiquement un statut social supérieur, le mettant en position de juge, qu’importe le  statut social professionnel.

Conclusion

D’après Herbert, le fait que les compliments des hommes soient plus souvent acceptés que ceux des femmes est tout simplement une manifestation de la différence de statut entre les deux sexes3. Une autre indication de cette différence de statut provient du fait que les hommes complimentent les femmes sur leurs compétences, qu’importe leur statut social professionnel. Holmes, l’auteure de l’étude en Nouvelle-Zélande, pose l’hypothèse selon laquelle complimenter n’a pas la même fonction chez les deux sexes : chez les femmes, il permettrait de créer un lien de solidarité ; chez les hommes, le compliment serait plutôt un moyen de formuler un jugement7.

Information complémentaires sur les compliments concernant l’apparence

Cet article concerne tous les types de compliments : sur l’apparence, sur les possessions, sur les compétences et sur l’effort.

Kalista avait l’air d’en savoir plus sur les compliments sur l’apparence, voici donc quelques infos complémentaires :

Les compliments sur l’apparence sont les compliments les plus fréquents

L’étude de Holmes en Nouvelle Zélande6 a indiqué les résultats suivants : les femmes se compliments beaucoup sur leur apparences entre elles (61% des compliments), puis ensuite ce sont les hommes qui complimentent beaucoup les femmes sur leur physique (47% des compliments), puis les femmes sur le physique des hommes (40% des compliments). Finalement, Holmes avaient trouvé que 36% des compliments entre hommes portaient sur leur apparence, ce qui est relativement élevé. Holmes a d’ailleurs supposé qu’un tel pourcentage ne se retrouverait pas dans un échantillon américain.

On voit donc qu’ici les hommes complimentent plus les femmes sur leur physique que l’inverse, mais l’écart entre les deux n’est pas énorme (47% contre 40%) ; cela est cependant à mettre en relation avec le fait que les hommes complimentent plus les femmes que l’inverse (23,1% des compliments de l’étude provenaient d’hommes vers des femmes, contre 16,5% de femmes vers des hommes).

Une étude de 20069 sur un échantillon américain a montré à l’inverse que les hommes préfèrent complimenter les femmes sur leur physique (60,5% des compliments) que sur leur compétences ; à l’inverse les femmes complimentent plutôt les hommes sur leur compétence (seulement 29% des compliments de femmes à des hommes portent sur leur apparence.).

Cela est bien sûr dû aux rôles sociaux : il est important pour une femme d’être belle et élégante, pour un homme d’être performant. Cependant des interviews menées dans l’étude de 20069 ont montré que les femmes s’abstenaient de complimenter les hommes sur leur physique afin de ne pas leur faire croire qu’elles étaient intéressées par eux. Les hommes ont moins peur que leur compliment sur le physique soit mal interprété : il est socialement mieux accepté que les hommes prennent les initiatives en ce qui concerne les relations sentimentales.

Kalista a soulevé le fait qu’un compliment sur l’apparence, venant d’un homme et adressé à une femme, puisse servir à la rabaisser au statut d’objet sexuel. Ce point n’est pas trop évoqué dans les études que j’ai lu. Je pense cependant qu’on peut raisonnablement penser que la différence entre un compliment poli et un compliment menaçant dépend 1. du contexte  : ce n’est pas la même chose de se faire des compliments entre amis qu’entre collègues ou qu’entre patron et une employée 2. de l’aspect physique évoqué : dire « ta nouvelle coupe te va super bien », c’est différent que de dire « tu as de belles fesses ». Bref l’aspect sexuel du compliment et le statut social des interlocuteurs est à prendre en compte.


Références

1. James D, Drakich J. Understanding gender differences in amount of talk: A critical review of research. Pearson Education; 2004.

2. Oleksy W. Contrastive Pragmatics. John Benjamins Publishing Company; 1989.

3. Herbert RK. Sex-based differences in compliment behavior. Language in Society. 1990;19(02):201-224.

4. Gajaseni C. How Americans and Thais Respond to Compliments. Annual Meeting of the International Conference on Pragmatics and Language Learning. 1994. Available at: http://hdl.handle.net/2142/20871.

5. Holmes J. Paying compliments: A sex-preferential politeness strategy. Journal of Pragmatics. 1988;12(4):445-465.

6. Holmes J. Compliments and Compliment Responses in New Zealand English. Anthropological Linguistics. 1986;28(4):485-508.

7. Paulston CB, Tucker GR. Sociolinguistics: The Essential Readings. Blackwell Pub. 2003.

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13 réflexions sur “Bonus : Complimenter et être complimenté

  1. Mes AMIES accetent bien mes compliments et moi j’accepte bien les leurs, sans problémes, et pour de vrais compliments amicaux!! et aussi des critiques !POURQUOI vous ne parlez pas de compliments entre femmes ??
    compliment sur une oeuvre faite, un jardin entretenu  » bannissez les compliment maternelles  » POUR valoriser l’etre humain qu’est une femme.
    de toute façon MERCI à vous de vous interesser à cette part de l’humanité.

    • POURQUOI vous ne parlez pas de compliments entre femmes ??

      Euh ben, j’en parle :

      il a été montré que les femmes se complimentent beaucoup entre elles, tandis que les hommes se complimentent très peu entre eux. De plus les femmes ne complimentent pas de la même façon, puisqu’elles utilisent beaucoup plus fréquemment des termes qui ont un rôle d’intensifieurs comme quel/le ou si (« Quelles belles chaussures ! » « Ta coupe te va si bien »).
      […]
      Cela est congruent avec l’ensemble de la littérature, selon laquelle le style de conversations des femmes est plus social et plus basé sur les émotions, que celui des hommes. Par contre, l’étude d’Herbert a montré que les hommes complimentent plus les femmes que l’inverse. Une étude de 1988 effectuée en Nouvelle-Zélande a donné des résultats semblables.
      […]
      chez les femmes, [le compliment] permettrait de créer un lien de solidarité

      Il faut lire avant de commenter.

    • Hum, d’après ce que j’ai lu, c’est surtout
      1. Les femmes envers les femmes
      2. Puis les hommes envers les femmes
      3. Les femmes envers les hommes
      4. Les hommes envers les hommes

      J’espère que c’est plus clair !
      Les femmes se complimentent souvent entre amies.

  2. Je suis vraiment étonnée d’apprendre que les compliments des hommes sur les femmes seraient mieux acceptés que les compliments des femmes sur les femmes (sans doute à cause de mon ressenti personnel, je préfère l’absence de fixation sur le corps de la personne (que tu as un beau derrière!), plus souvent le fait d’hommes, et donc, accepte volontiers les compliments sur les vêtements (quelle belle robe!), venant plus souvent de femmes, que je perçois plus souvent désintéressés.). Je dormirai moins bête ce soir. Et je suis très intéressée par ta documentation, donc merci pour les références (dommage qu’elles soient, comme souvent en anglais).

    • « Non accepter » ne veut pas dire que la femme s’énerve ou le prend mal. Accepter un compliment, c’est juste dire « merci ».

      Ne pas accepter un compliment peut comprendre un tas d’autres réponses possibles, comme essayer de réduire l’impact de ce compliment « Oh, mais il est vieux », « C’est facile à faire »…ou détourner la conversation. C’est ce que font en général les amis entre eux (et en particulier les femmes).

      J’ai écrit ce paragraphe (devenu article un peu par miracle ^^) il y a assez longtemps et je ne me rappelle plus exactement de tous les détails ; je regarderai à l’occasion.

  3. Ton article parle des compliments en général ou juste des compliments touchant au physique ? Il me semble que ces derniers sont un cas à part.
    Une femme complimentera difficilement un homme sur son physique, sauf si c’est vraiment un pote avec lequel tout est clair. Le contraire peut aussi être un moyen de rabaisser la femme au rôle d’objet décoratif ou sexuel…

    • C’est sur les compliments en général (sur l’apparence, les compétences, etc.) !

      D’après ce que j’ai lu, les femmes se complimentent beaucoup entre elles, et en particulier sur leur physique.

      Il est également dit que les compliments sur le physique sont rares dans les relations inter-sexe …hum… quoique d’après mes souvenirs’il me semble que dans l’étude américaine d’Herbert, il a été noté que les femmes complimentent parfois les hommes sur le physique ; mais pas en Nouvelle-Zélande. Bref, ça a l’air de pas mal varier.

      J’ai été surprise que les compliments sur le physique, de la part d’hommes vers les femmes, sont rares dans ces études. Je pense que dans les pays anglo-saxons, c’est différent de chez nous.

      J’ai omis de parler des différentes catégories de compliments : apparence/compétence/possessions, surtout que ça variait légèrement entre les échantillons américains et new-zélandais, mais je pourrais le rajouter ce weekend.

      J’avoue ne pas me rappeler des détails, j’ai écrit ce paragraphe il y a longtemps.

  4. C’est un peu comme le « Mademoiselle » : certains hommes croient sincèrement complimenter une jeune femme en l’appelant « Mademoiselle », pour lui montrer qu’elle a réussi à garder l’air jeune. En réalité, l’usage du Mademoiselle crée justement un écart de statut en faveur de l’homme, en lui donnant un droit de regard sur la vie privée de son interlocutrice, et en insistant sur l’âge jeune et/où l’apparence jeune d’une femme, au lieu de s’intéresser à ses compétences et son expérience (car être jeune c’est aussi être inexpérimentée).

    Il est vrai que chez d’autres hommes, « Mademoiselle » n’est pas utilisé comme un compliment mais comme un moyen délibéré de créer une situation de supériorité sur l’interlocutrice. Je le constate régulièrement dans le cadre de mon travail, lors de négociations commerciales.

    • J’imagine très bien ce « écoutez mademoiselle » avec un ton paternaliste pendant les dites réunions.

      « certains hommes croient sincèrement complimenter une jeune femme en l’appelant “Mademoiselle”, pour lui montrer qu’elle a réussi à garder l’air jeune » : puisqu’une femme se doit d’être belle et que la meilleure beauté est celle de la jeunesse, « mademoiselle » est en effet un « faux-compliment ». ça me fait penser aux gens qui veulent te flatter en remarquant que « tu as minci ».

    • Je ne sais plus en quelle année mais Mademoiselle n’est plus un « titre » valide.
      En outre, mademoiselle fait référence au fait que la femme n’est pas mariée.
      Et d’ailleurs, étymologiquement, mademoiselle signifie une femme qui est oisive, qui ne fait rien, donc.
      Heureusement que la France a banni ce « titre ».
      Il me semble qu’il est invalide depuis 2011 mais je peux me tromper sur la date.

  5. Pingback: Amour, privilège et beauté – ex cursus

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