Retour sur le questionnaire et les témoignages : l’identification de violences sexuelles encore mal connues, les interactions sexuelles à coercition graduelle

Il y a un peu plus d’une semaine, j’ai lancé un appel à témoignages intitulé : « actes de domination non consentis durant des interactions sexuelles désirées et consenties ». Il a eu un succès retentissant, puisqu’en moins de 24h, j’avais collecté plus de 200 témoignages.

A l’heure où j’écris ces lignes, c’est plus de 300 réponses que j’ai reçues à mon questionnaire.

Je commence cet article en adressant un chaleureux merci à toutes les personnes qui l’ont complété. J’apporte également tout mon soutien à celles qui y ont exprimé leur souffrance, car beaucoup de témoignages sont vraiment très durs. Si vous pensez avoir été victime de viol ou d’agression sexuelle, vous pouvez appeler la ligne d’écoute gratuite et anonyme dédiée à cela : 0 800 05 95 95. Je rappelle au passage que, selon la loi française, les fellations et les pénétrations de l’anus et du vagin par des doigts, le pénis ou des objets, constituent des viols si elles sont commises par violence, contrainte, menace ou surprise.

Pour l’instant, je n’ai eu le temps d’analyser précisément que 100 témoignages, en particulier parce que beaucoup sont très détaillés et relatent de multiples expériences. Je pense néanmoins que cela est suffisant pour vous faire un premier retour de ce qui ressort de ce questionnaire. Bien entendu, je compte lire et analyser l’ensemble des témoignages ultérieurement.

Certains témoignages sont lisibles ici : interactions sexuelles à coercition graduelle, les témoignages.

D’où partait mon questionnement ? Quel était mon objectif ?

Pour mieux vous expliquer pourquoi j’ai souhaité lancer cet appel à témoignage, partons de mon point de départ. Au détour de conversations avec des amies ou sur internet, je me suis rendue compte que certaines femmes évoquaient des expériences sexuelles « particulières » avec des hommes : sans employer le terme de « viols », elles parlaient de rapports sexuels « pas cools », « désagréables » ou « qui se passent mal ». D’autres évoquaient des expériences sexuelles qui étaient « objectivantes » et « dépersonnalisantes ».

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Appel à témoignages : actes de domination non consentis durant des interactions sexuelles désirées et consenties

Comme vous le savez peut-être, je suis en train d’écrire un livre sur la culture du viol.

J’aimerais y évoquer un phénomène assez peu identifié : les actes de domination non consentis durant les interactions sexuelles qui sont, en elles-mêmes, consenties et désirées. Autrement dit, le problème du consentement ne concerne pas les actes sexuels ou l’interaction sexuelle elles-mêmes, mais plutôt l’atmosphère qui entoure ces actes, leur tonalité, sur laquelle l’un des partenaires perd le contrôle. Une atmosphère de domination.

Pour donner des exemples concrets :

  • une femme a consenti et désiré avoir un rapport sexuel avec un homme, mais lors de l’acte, il lui tire les cheveux et lui donne une fessée, actes auxquels elle ne s’attendait pas.
  • une femme a consenti à faire une fellation à un homme. Celui-ci lui agrippe sa tête et la bouge d’avant en arrière. De la même manière, ce n’était pas quelque chose de prévu.
  • l’homme donne des ordres à sa partenaire, mais ne se soucie pas du tout de ce que, elle, souhaite. Ce n’est pas la situation à laquelle s’attendait cette femme.
  • etc.
  • ⇒ Il y a sans doute un tas de situation auxquelles je ne songe pas.

A ma connaissance, il n’existe aucun article (universitaire ou dans la presse) consacré à ce sujet.

Pour combler ce manque je souhaiterais recueillir des témoignages. Ces témoignages serviront avant tout à nourrir ma réflexion. Peut-être que certains – après accord explicite de la personne et sous anonymat  seront également cités dans le livre et/ou sur mon blog.

Pour témoigner vous pouvez répondre à ce formulaire Google (si vous ne voulez pas utiliser cet outil, vous pouvez éventuellement m’envoyer vos réponses via mon formulaire de contact).

Même si vous n’êtes pas tout à fait sûre qu’une expérience que vous avez vécue entre tout à fait dans ce cadre, n’hésitez pas à m’en faire part ! La thématique concerne sans doute une grande diversité d’expériences.

Je vous remercie d’avance.

N’hésitez pas à relayer cet appel.

L’impuissance comme idéal de beauté des femmes – Universalité des idéaux de faiblesse 2

Partie 1 : Introduction
Partie 2 : Un beau corps féminin est un corps qui n’occupe pas trop d’espace
Partie 3 : Un beau corps féminin se déplace avec difficulté
Partie 4 : Un beau corps féminin est un corps à l’air jeune voire enfantin et qui est sexualisé
Partie 5 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – le sourire
Partie 6 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la répression des désirs
Partie 7 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance physique
Partie 8
: Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance morale
Partie 9 : Sorcières et féministes, quelques figures de la laideur féminine
Partie 10 : Universalité des idéaux de faiblesse 1
Partie 11 : Universalité des idéaux de faiblesse 2
Partie 12 : Conclusion
Supplément : la coercition à la beauté
Supplément : L’impuissance comme idéal de beauté en vidéo

Répression et objectification sexuelle

J’ai précédemment expliqué que les idéaux de beauté en Occident ont deux effets : d’une part, sexualiser les femmes, c’est-à-dire en faire des objets de désir (pour les hommes puisque l’on vit dans une société hétérocentrée) ; d’autre part, réprimer leur désir et leur plaisir sexuels. Cela correspond de manière générale à une conception asymétrique de la sexualité : les hommes sont considérés comme des sujets sexuels désirant, dont le plaisir sexuel serait très important ; les femmes sont perçues comme des objets sexuels dont la sexualité devrait être avant tout au service des hommes. A ce sujet, vous pouvez également lire mes articles sur la sexualité féminine et sur l’objectification sexuelle.

Les trois pratiques que j’ai choisies (gavage, bandage des pieds et mutilations génitales féminines (MGF)) ont, elles aussi, pour effet d’aggraver cette asymétrie entre hommes et femmes au niveau de la sexualité : elles sont censées protéger la chasteté et la fidélité des femmes et en même temps augmenter la gratification sexuelle des hommes.

Le contrôle de la sexualité des femmes entre dans le cadre de la théorie sur l’appropriation des fonctions sexuelle et reproductive des femmes. Dans Pratique du pouvoir et idée de Nature (1) L’appropriation des femmes44, Colette Guillaumin a démontré comment « une classe de sexe » (les hommes) approprie l’autre (les femmes). Cette appropriation se fait notamment par « l’usage sexuel » d’une femme par un homme. La réduction des femmes à leur fonction sexuelle (objectification sexuelle) illustre cet appropriation par le sexe.

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L’impuissance comme idéal de beauté des femmes – la répression des désirs

The Stepford Wives

Dans le film (dont je vous conseille la version de 1975) et le livre The Stepford Wives, l’héroïne débarque dans une ville où toutes les femmes sont des épouses modèles : elles adorent s’adonner aux tâches ménagères et elles hurlent de plaisir lors des coïts avec leur mari (leur disant qu’ils sont des dieux au lit). Tout cela, avec le sourire, bien sûr ! Dans le livre, elles sont aussi décrites comme portant des robes très moulantes et révélatrices, dévoilant leur forte poitrine et leur silhouette exceptionnelle.

Merci à Pimprenelle pour la relecture de cet article.

Partie 1 : Introduction
Partie 2 : Un beau corps féminin est un corps qui n’occupe pas trop d’espace
Partie 3 : Un beau corps féminin se déplace avec difficulté
Partie 4 : Un beau corps féminin est un corps à l’air jeune voire enfantin et qui est sexualisé
Partie 5 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – le sourire
Partie 6 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la répression des désirs
Partie 7 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance physique
Partie 8 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance morale
Partie 9 : Sorcières et féministes, quelques figures de la laideur féminine
Partie 10 : Universalité des idéaux de faiblesse 1
Partie 11 : Universalité des idéaux de faiblesse 2
Partie 12 : Conclusion
Supplément : la coercition à la beauté
Supplément : L’impuissance comme idéal de beauté en vidéo

Nous avons vu dans l’article précédent comment l’abnégation des femmes peut se traduire par le sourire, notamment quand ce sourire permet de camoufler des émotions négatives. Cet article revient sur l’abnégation, en montrant cette fois-ci comment la beauté s’oppose aux plaisirs et désirs des femmes.

L’interdiction des plaisirs et désirs

Touche pas à ma pute

Dans Causeur, des hommes ont clamé leur droit à « leur pute ».

La nourriture et la sexualité ont beaucoup en commun. Toutes deux sont sources d’un intense plaisir. Mais l’accès à ce plaisir ne se fait pas de manière symétrique chez les hommes et chez les femmes. Les hommes ont tout à fait droit à leur plaisir, et certains n’hésitent pas à l’exiger fermement. Les femmes, quant à elles, doivent générer ce plaisir chez les hommes, particulièrement chez leur conjoint, en préparant les repas et en étant sexuellement disponibles. C’est ainsi qu’un certain nombre d’hommes exigent un « droit au sexe » qui passe en particulier par la prostitution, la pornographie ou d’autres violences sexuelles. Le fait que le viol soit banalisé et justifié (à l’aide de mythes sur le viol) dans notre société indique bien qu’il semble « normal » qu’un homme puisse s’approprier le corps d’une femme pour son bon plaisir. Peu  importe que ces violences aient des impacts terribles sur les victimes, rien ne paraît plus sacré que ce droit à l’accès au corps des femmes par les hommes, quand ils le souhaitent et comme ils le souhaitent. L’accomplissement de ces désirs sexuels semble si vital, si nécessaire, si important, que ces derniers sont requalifiés en « besoins sexuels ». Quant à la préparation de la nourriture, elle correspond au rôle maternel et nourricier traditionnellement féminin1,2. À l’heure actuelle, ce sont les femmes qui se chargent encore très majoritairement  de la cuisine. Ainsi, en 2010, les femmes françaises y passaient en moyenne 70 minutes par jour, contre 24 minutes pour les hommes français3.

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Les femmes, leurs désirs, leur plaisir et leur orgasme

Je suis en train d’écrire un (très) long article sur les idéaux de beauté (qui devrait être bientôt fini). A cette occasion, j’ai fait une digression sur le plaisir sexuel des femmes. Mais, cette digression me semble trop longue pour rester dans un article sur les idéaux de beauté. Je trouve néanmoins dommage de la supprimer et je la publie donc en tant qu’article indépendant.

Shere Hite

Shere Hite a révolutionné la vision de la sexualité féminine avec son rapport (source de l’image)

Le plaisir sexuel reste encore inaccessible à bon nombre de femmes. Si elles sont objectivées sexuellement, elles ne sont pas considérées comme des sujets sexuels à part entière : leur désir serait faible ou inexistant, leur sexualité passive, et leurs plaisir relèverait de la responsabilité de leur partenaire masculin (selon une vision du monde hétérocentrée).

Un difficile accès au plaisir et à l’orgasme

Une enquête de 20051 à très large échelle, portant sur près de 28 000 personnes du monde entier, âgées de 20 à 80 ans, indiquent que les femmes rencontrent plus de difficultés dans leur sexualité. Elles sont plus fréquemment incapables d’atteindre l’orgasme ou d’avoir du plaisir pendant les rapports sexuels. Ainsi, près de 18% des femmes d’Europe du Nord ont du mal à atteindre l’orgasme au moins occasionnellement (dont 3,5% fréquemment) contre 9% des hommes (1,6% fréquemment). En Europe du sud (dans laquelle la France est inclue), on trouve la même tendance : 24% des femmes contre 12% des hommes ont au moins occasionnellement des difficultés à avoir un orgasme (dont 6 et 2% fréquemment). La proportion de personnes ne trouvant pas de plaisir lors des rapports sexuels est du même ordre de grandeur, et encore une fois, les femmes sont désavantagées. Les femmes rencontrent également plus de douleurs que les hommes lors des rapports sexuels (par exemple, 12% des femmes d’Europe du sud rencontrent au moins occasionnellement des douleurs contre 4% des hommes).

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