L’impuissance comme idéal de beauté des femmes – Introduction

Jeune fille à la boîte de poudre

Jeune fille à la boîte de poudre, tableau de Lotte Laserstein

Cet article était à l’origine censé être une simple introduction à un article très long, faisant partie de la série sur l’objectivation sexuelle. J’ai décidé de le fragmenter pour une lecture plus aisée, et d’en faire une série d’articles sur l’impuissance comme idéal de beauté des femmes

Partie 1 : Introduction
Partie 2 : Un beau corps féminin est un corps qui n’occupe pas trop d’espace
Partie 3 : Un beau corps féminin se déplace avec difficulté
Partie 4 : Un beau corps féminin est un corps à l’air jeune voire enfantin et qui est sexualisé
Partie 5 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – le sourire
Partie 6 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la répression des désirs
Partie 7 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance physique
Partie 8 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance morale
Partie 9 : Sorcières et féministes, quelques figures de la laideur féminine
Partie 10 : Universalité des idéaux de faiblesse 1
Partie 11 : Universalité des idéaux de faiblesse 2
Partie 12 : Conclusion
Supplément : la coercition à la beauté
Supplément : L’impuissance comme idéal de beauté en vidéo

L’importance de la beauté pour les femmes

Les femmes de droiteComme nous l’avons vu dans la partie 1 sur l’objectivation sexuelle, plusieurs théoriciennes féministes ont discuté du fait que les femmes, dans les sociétés patriarcales, sont assimilées et réduites à leur corps. C’est ce qu’on appelle l’objectivation sexuelle. Comme les femmes sont identifiées à leur corps, elles sont essentiellement évaluées en fonction de leur apparence physique, au détriment de leur personnalité ou de leurs compétences. Andrea Dworkin le dit crûment dans son ouvrage Les femmes de droites1 : « l’intelligence [d’une femme] a moins d’importance que la forme de son cul ». Pour les hommes hétérosexuels, l’apparence physique est un critère d’attirance plus important qu’il ne l’est pour les femmes hétérosexuelles2,3. Dès les années 1960-1970, des études de psychologie sociale ont montré que les femmes laides étaient jugées plus négativement que les hommes laids4. Un chercheur concluait en 1970 que « les hommes laids sont perçus comme parvenant à mieux compenser leur laideur que les femmes [laides], c’est-à-dire que si on est laid, il vaut mieux être un homme qu’une femme ». Etant conscientes du fait que la laideur féminine est considérée comme une faute impardonnable, les femmes se préoccupent plus de leur apparence que les hommes. Elles expriment plus d’inquiétude à ce sujet5 et elles considèrent plus que les hommes que leur aspect physique joue un rôle important dans leur bien-être6. Une étude7 montre par exemple que, par rapport aux hommes hétérosexuels, ce qui motive les femmes hétérosexuelles et les hommes homosexuels à faire du sport est de se modeler une belle apparence physique. Au contraire, les hommes hétérosexuels sont plus motivés par l’esprit de compétition.

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L’objectivation sexuelle des femmes : un puissant outil du patriarcat – les violences sexuelles graves et la dissociation

Partie 3 : les violences sexuelles, des actes d’objectivation extrêmes et dissociant

Avertissement : cet article parle de violences sexuelles, mais aussi de troubles dissociatifs et de syndrome de stress post-traumatique, et peut donc être difficile pour certaines personnes.

Partie 1 : définition et concept-clés
Partie 2 : le regard masculin ou male gaze

« Arrête de faire semblant d'être un être humain ». Parole d'un violeur à sa victime, tiré du projet Unbreakable

« Arrête de faire semblant d’être un être humain »
Parole d’un violeur à sa victime, tiré du projet Unbreakable

Sommaire

  1. Introduction
  2. Auto-objectivation et trouble de l’image corporelle
  3. Le corps comme ennemi : la réponse sexuelle pendant une agression
  4. Les troubles dissociatifs
    1. Définition
    2. Lien avec les violences sexuelles dans l’enfance
  5. Dissociation et traumatisme
    1. Syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dissociatif
    2. Dissociation péritraumatique
  6. Conséquences de la dissociation
    1. Toxicomanie et alcoolisme
    2. Automutilations
    3. Prise de risque sexuelle et revictimisation
    4. Troubles alimentaires et obésité
    5. « Troubles » sexuels
    6. Autres troubles
  7. Le cas de la prostitution
    1. Le lien avec l’inceste et les violences sexuelles
    2. Au cœur de la prostitution : la dissociation
      1. Une méthode de déconnexion « apprise » lors de violences antérieures
      2. Les techniques de mise à distance
      3. Conclusion : une objectivation sexuelle et la vente d’un corps vide
    3. Les troubles liés aux violences sexuelles présents chez les personnes prostituées
  8. Conclusion finale : retour sur la théorie de l’objectivation sexuelle

 

 Glossaire

  • Alexithymie : incapacité à reconnaître ses émotions et à les exprimer1
  • Honte corporelle (body shame) : le fait de croire que les autres vont déprécier notre corps à cause de son éloignement des standards de beauté.
  • Interoception : capacité à reconnaître les états internes de son corps (faim, battements du cœur, besoin d’aller aux toilettes…)
  • Médiateur : variable intermédiaire entre une variable observée, à expliquer (ex : une maladie mentale) et une variable explicative (ex : des violences dans l’enfance). S’il y a médiation, cela signifie que la variable explicative  influence une variable médiatrice, qui a son tour influence la variable observée.
  • Syndrome de stress post-traumatique (SSPT) : ensemble des symptômes survenant après un traumatisme : cauchemar, évitement, flash-black, et parfois, dissociation.
  • Syndrome du côlon irritable : trouble digestif se manifestant par des douleurs abdominales, des constipations et des diarrhées. Il est dû à des modifications dans la motricité et la sensibilité de l’intestin.
  • Vaginisme : contraction involontaire des muscles du plancher pelvien entourant l’ouverture du vagin, empêchant la pénétration avec un pénis, un doigt, un spéculum ou même un tampon.

 

1.     Introduction

Dans l’énoncé initial de la théorie de l’objectivation3, Fredrickson et Roberts reprenaient la définition de Sandra Bartky4 :

L’objectivation sexuelle survient à chaque fois que le corps d’une femme, les parties de son corps, ou ses fonctions sexuelles, sont séparées de sa personne, réduit à l’état de simples instruments, ou considérés comme s’ils pouvaient la représenter. En d’autres termes, quand les femmes sont objectivées, elles sont traitées comme des corps – et en particulier, comme des corps qui existent pour l’utilisation et le plaisir des autres

Dans leur article fondateur, Fredrickson et Roberts mentionnent surtout le male gaze – le regard masculin objectivant – et le harcèlement sexuel, traités en partie 2. Mais l’objectivation sexuelle peut se manifester de manière encore plus violente et brutale, via des agressions sexuelles ou des viols. Lors d’un viol ou d’une agression sexuelle, la victime est traitée comme d’un objet dont l’agresseur se sert pour sa propre gratification sexuelle, sans jamais tenir compte des désirs et des besoins de sa victime. L’agresseur se rend donc propriétaire du corps de sa victime. C’est cette forme d’objectivation extrême dont nous aller traiter dans cet article.

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L’objectivation sexuelle des femmes : un puissant outil du patriarcat – Introduction

Partie 1 : définition et concept-clés

Partie 2 : le regard masculin ou male gaze

Partie 3 : les violences sexuelles, des actes d’objectivation extrêmes et dissociant

Je vais commencer une nouvelle série d’articles sur l’objectivation sexuelle des femmes, ce que c’est, comment cela se manifeste et quelles en sont les conséquences sur la vie des femmes. Dans cette introduction, je vais donner quelques concepts clés, faire un historique de cette notion, et résumer ce que l’on sait sur l’objectivation sexuelle. Dans les articles suivant, je vais détailler certains aspects particuliers de cette objectivation.

Définition et histoire d’un concept développé en philosophie

La notion d’objectivation sexuelle est une notion centrale du féminisme contemporain. L’objectivation sexuelle survient quand une personne est considérée, évaluée, réduite, et/ou traitée comme un simple corps par autrui1,2. Il s’agit de séparer une personne de son corps,  de certaines de ses parties corporelle ou de ses fonctions sexuelles, les réduisant au statut d’instruments ou les considérant comme étant en mesure de représenter la personne1,2.

Emmanuel Kant

Emmanuel Kant

Le premier à avoir introduit cette notion est le philosophe Emmanuel Kant3,4. Selon lui, le désir sexuel réduit autrui au statut d’objet. Cette objectivation est problématique car déshumanisante : « aussitôt qu’une personne devient un objet d’appétit pour autrui, tous les liens moraux se dissolvent, et la personne ainsi considérée n’est plus qu’une chose dont on use et se sert »5.  Selon Kant, un être humain est constitué d’un corps et d’un soi, liés de façon à ne pouvoir être séparés. Or l’objectivation sexuelle entraîne un désir envers le corps seulement, et non envers la personne dans son ensemble, ce qui est dégradant3.

Kant pensait que hommes et femmes pouvaient être objectivés, mais il était conscient qu’en pratique, les femmes étaient plus souvent victimes d’objectivation que les hommes, comme en témoigne son analyse du concubinage et de la prostitution, qui conduisaient selon lui à la réduction des femmes au statut d’objet d’appétit pour les hommes. Il croyait que la seule relation dans laquelle l’objectivation peut être évitée est le mariage monogame qui permettrait égalité et réciprocité3,4.

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Les femmes de droite, par Andrea Dworkin

Les femmes de droite, par Andrea Dworkin

les femmes de droite

Les femmes de droite est un ouvrage écrit par Andrea Dworkin, féministe radicale, en 1983.  Cette dernière nous propose une

andrea dworkin

Andrea Dworkin

explication à l’allégeance de certaines femmes  à la droite  américaine dure. Comment expliquer que ces femmes adhèrent à des idées opposées à leurs intérêts ? Comment des femmes peuvent-elles être anti-avortement, anti-contraception ou encore rêver d’être femmes au foyer ? Andrea Dworkin nous donne une réponse convaincante dans cette œuvre.

Ce livre a été traduit en français par  Martin Dufresne et Michele Briand. Il est préfacé par Christine Delphy. Martin Dufresne m’a très gentiment envoyé le manuscrit quasi-finalisé. Je vous propose un compte-rendu de ma lecture fort passionnante.

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