
Pas légèrement stéréotypée la collection P’tite Fille/P’tit Garçon de chez Fleurus ?!!
Bien que dénoncés en France depuis les années 1970 sous l’impulsion des féministes, les stéréotypes sexistes perdurent dans la littérature enfantine. D’après Anne Dafflon Novelle, il y aurait même eu une régression dans ce domaine au cours des dernières décennies (1). Comment se manifeste donc ce sexisme ?
Plus de personnages masculins
Dans la littérature enfantine, les personnages féminins sont sous représentés dans les rôles principaux (2; 3); ainsi très souvent, le titre établit un premier contact avec un seul personnage, qui se trouve être de sexe masculin dans 2/3 des cas selon une étude publiée en 2002 (3) . Lorsque deux personnages sont évoqués, il s’agit de deux filles dans seulement 4% des cas, contre deux garçons dans 30% des cas.
Un personnage est représenté quasiment systématiquement sur les couvertures des albums pour enfants. Plus des trois quarts de ces illustrations (77,7 %) concernent un personnage masculin, alors que sur moins de la moitié des couvertures (48,9 %) figure au moins un personnage féminin… (3)
A l’intérieur même des albums, la présence masculine s’amplifie. Ainsi 90% des albums mettent en scène au moins un personnage masculin, alors que seulement 73% des albums mettent en scène au moins un personnage féminin. Ce déséquilibre est particulièrement accru chez les personnages enfantins : les petites filles apparaissent dans seulement 42,5% des albums, contre 56,8 % pour les petits garçons (3). Une autre étude de 2002 établit que 51,3 % des livres racontaient l’histoire d’un héros et seulement 24,7 % relataient l’histoire d’une héroïne (4).
Incidence du type de personnages : humain, anthropomorphe ou animal
Il existe trois grandes catégories de personnages : les personnages humains, les personnages anthropomorphiques et les animaux réels. Le ratio entre les deux sexes est plutôt équilibré dans les albums « humains » : ainsi dans environ 92% des albums apparait un personnage masculin et dans environ 84 %, un personnage de sexe féminin. Mais la probabilité de voir un personnage féminin diminue dans albums « anthropomorphes » : la probabilité y est de seulement 74% contre 94% pour les garçons ! Ces tendances s’accentuent encore dans les albums d’animaux réels puisque dans 96% des albums, on rencontre un personnage masculin alors que seulement 69% des livres comportent au moins un personnage féminin (3; 4).
Des sexes aux rôles différents…
Les filles ou les femmes accèdent peu au rôle principal, alors qu’elles sont légèrement plus nombreuses que les personnages masculins dans les seconds rôles. Les personnages féminins sont le plus souvent représentés à l’intérieur et sont moins actifs. Lorsque les femmes sont représentées en train de travailler (ce qui arrive deux fois moins que chez les personnages masculines…), ce sont dans des professions traditionnelles et peu diversifiées (institutrice et soins aux enfants dans la moitié des cas, commerce pour 30% des cas…) (2; 3). Quand ces personnages apparaissent dans des métiers plus originaux, c’est souvent pour en faire ressortir le côté « anormal » : le travail féminin est ainsi dévalorisé (3). Par ailleurs, la fonction maternelle est très présente dans les albums (il y a une mère dans environ 40 % des albums) et apparait comme le modèle majoritaire de l’adulte féminin : dans seulement 20 % des albums d’humains et 25 % des albums d’animaux humanisés est figuré un personnage féminin adulte qui n’incarne pas de fonction maternelle (3).
Les rôles dévolus aux hommes sont plus diversifiés : en plus de leurs activités professionnelles beaucoup plus variées, les pères sont plus souvent représentés en train de partager des activités de loisir avec leurs enfants (2). De plus, plus du tiers des albums avec des humains et la moitié de ceux avec des animaux humanisés proposent des adultes masculins qui n’incarnent pas de fonction paternelle. (3)
Enfin, notons que le type d’animaux choisis pour les personnages anthropomorphique diffère en fonction du sexe du personnage. Les héros masculins sont beaucoup plutôt représentés sous la forme d’animaux puissants (ours, loups, etc.) ou alors issus de l’imaginaire collectif des enfants (lapins). Au contraire, les personnages féminins prennent la forme d’animaux petits et/ou dévalorisant, comme les souris ou les insectes. De plus, les animaux choisis pour les incarner sont moins diversifiés. (2; 4)
Conséquences
Le sexisme dans la littérature enfantine n’est pas sans conséquences sur le développement des enfants, qui intègrent très rapidement les normes de société. Ainsi, selon une étude de 1978 (5), des filles qui avaient lu des livres avec des personnages féminins présentés dans des rôles non traditionnels, considéraient plus souvent que des femmes pouvaient exercer des métiers ou des activités non stéréotypiquement féminins que des filles à qui on avait présenté des personnages de femme traditionnels.
De plus, il a été montré que l’estime de soi des enfants augmente quand ces derniers sont en contact de modèles du même sexe qu’eux (6). Ainsi, l’estime de soi des filles risque d’être affectée puisqu’il y a peu d’héroïnes dans les livres qu’elles lisent.
Initiatives pour réduire le sexisme dans la littérature enfantine
Quelques initiatives ont été entreprises pour réduire le sexisme des albums de littérature enfantine.
On peut notamment citer notamment l’association lab-elle qui a sélectionné de 2006 à 2010 des albums sans stéréotypes de genres. Malheureusement, elle a du arrêté sa « labellisation » du fait d’un manque de financementsL. Une maison d’éditions, Talents Hauts, tente d’éliminer tout stéréotypes de leur livre et revendiquent ainsi des albums « 100% sans sexisme ».
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Sources
1. Novelle Dafflon, Anne. Sexisme dans la littérature enfantine : quels effets pour le développement des enfants ?
http://www.cemea.asso.fr/aquoijouestu/fr/pdf/textesref/SexismeLitteratEnfants.pdf
2. Ferrez, Eliane et Novelle Dafflon, Anne. Sexisme dans la littérature enfantine. Analyse des albums avec animaux anthropomorphiques/Sexism in children’s literature. Analysis of picture books with anthropomorphical animals. Les Cahiers internationaux de psychologie sociale. 2003, Vol. 57. Abstract
3. Brugeilles, Carole, Cromer, Isabelle et Cromer, Sylvie. Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre. Population. 2002, Vol. 57, pp. 261-292. Full text
4. Dafflon Novelle, Anne. La littérature enfantine francophone publiée en 1997. Inventaire des héros et héroïnes proposés aux enfants. Revue suisse des sciences de l’éducation. 2002, Vol. 24, pp. 309-326. Full text
5. Ashby, M. S. et Wittmaier, B. C. Attitude changes in children after exposure to stories about women in traditional or nontraditional occupations. Journal of Educational Psychology. 1978, Vol. 70, pp. 945-949. Abstract
6. Ochman, Jan M. Journal Name. The effects of nongender-role stereotyped, same-sex role models in storybooks on the self-esteem of children in grade three. Sex Roles. 1996, pp. 711-735. Abstract
L’image que tu as utilisé pour l’article en anglais, je me demande si je l’ai pas déjà vue dans un de nos albums pour enfants.. ^^
N’empêche ça me choque le livre « chloé s’amuse à jouer à faire le ménage » !!
Tu pourrais faire un article sur les jouets aussi :
Jouets de fille : http://static.letsbuyit.com/filer/images/fr/products/original/194/96/edufun-ef-21565-jouet-en-bois-kit-de-repassage-19496551.jpeg
Jouets de garçon : http://www.touslesprix.com/ph_tar/2/3/8/2/23821984.jpg
Pfff
aussi un article sur les publicités, quand c’est pour le ménage, les laxatifs, les bébés, faire la bouffe, c’est toujours des femmes !!
Je me souviens, petite, j’avais un livre très bien fait, (40 questions de petit Tom), qui expliquait plein de choses: le cycle de l’eau, l’élevage des abeilles, l’élaboration du vin… Petit Tom posait des questions très pertinentes et comprenait vite; sa petite voisine était stupide, mais stupide!!
Quand on voit les contes traditionnels, ce n’est guère engageant: Blanche-Neige est femme de ménage pour une colonie de nains, Hansel prend toutes les responsabilités et Gretel ne fait que suivre…
côté livres plus contemporains par contre, je note le Club des cinq, qui répartissait équitablement filles et garçons, et les unes n’étaient pas moins aventurières, intelligentes ou sportives que les autres. Je pense aussi à Sophie la nièce de l’Inspecteur Gadget, qui, en plus d’être intelligente, est douée en informatique… plus que l’adulte masculin! Assez rare et assez juste je pense pour être souligné.
Il y a un problème aussi à la télé, où les super-héros sont quasi systématiquement des hommes. Je pense que ça peut introduire deux sortes de biais: soit la petite fille s’identifie aux femmes et du coup développe une image d’elle-même assez dévalorisante, soit (ce fut mon cas) elle s’identifie au héros et du coup est en colère d’être une fille et n’accepte pas d’être une future femme, ce qui peut poser problème ensuite à l’adolescence. L’on aimerait tellement plus devenir le jeune cow-boy à qui son père dit « tu es un homme, mon fils, prend ton cheval et va attraper le taureau au lasso », que la serveuse du saloon…
Et voilà comment, dans sa tête, quand on a envie de rêver d’aventures, on s’imagine garçon.
Et voilà comment ensuite le phénomène s’auto-entretient: quand on crée des histoires, même étant une femme, spontanément le personnage principal est un garçon…
Dans tout les cas je pense, tout cela participe largement à l’établissement du machisme des femmes envers les autres femmes.
Mais d’ailleurs, dans la continuité de ma phrase « le phénomène s’auto-entretient », est-ce que dans une certaine mesure les éditeurs ne sont pas obligés de se conformer aux clichés pour avoir des clients?
Si « Le tracteur de Chloé » pourrait passer, est-ce que les parents élevée à coups de sexisme n’auraient pas le réflexe involontaire de se dire « ah non, hors de question que j’achète « Peter joue à faire le ménage » à mon loulou, ça le rendrait homo »?
Tu as tout à fait raison : je pense que éditeurs se conforment à ce que les parents désirent pour « bien » éduquer leur enfant. Et les enfants eux-mêmes ont parfois tendance à se conformer aux stéréotypes de leur sexe (au grand désarroi des mères féministes) véhiculés à l’école ou à la télé.
Je me souviens que j’avais lu une interview du patron de Mattel qui disait que personnellement, il avait envie de créer des Barbie informaticiennes, ingénieures ou autres, mais que ce genre de modèles se vendait bien moins que les Barbie princesses ou mannequins.
Quant à ta remarque sur les filles qui s’imaginent être garçons, je veux bien te croire ! Je me souviens avoir lu que 20% des petites filles s’identifiaient à des héros garçons alors que seulement 5% des garçons (quand même !) s’identifiaient à des héroïnes… Si je retrouve ma source, je la posterai 😉
Suis tombé par hasard sur cet article qui m’a été proposé par mon agrégateur de flux.
Je l’ai lu avec intérêt et je le garderais bien sous le coude pour un article futur sur mon blog, parce que je le trouve très bien documenté et proprement rédigé !!!
CEPENDANT, je ne partage pas vos angoisses et je ne crois pas que les corrections que vous voudriez voir apportées aux livres pour enfants puissent résoudre quoi que ce soit, bien au contraire !
Pour avoir eu les cheveux très court pendant mon enfance et une bonne partie de mon adolescence et avoir été en même temps un très bonne lectrice, je puis vous affirmer n’avoir jamais eu la moindre difficulté à m’identifier à des personnages masculin et à leurs « activités ». LES ENFANTS NE VOIENT PAS COMME LES ADULTES…
Coupez les cheveux des filles en quatre et vous verrez, vous obtiendrez des petites filles très « actives » !!!