L’impuissance comme idéal de beauté des femmes – une mobilité réduite

Partie 1 : Introduction
Partie 2 : Un beau corps féminin est un corps qui n’occupe pas trop d’espace
Partie 3 : Un beau corps féminin se déplace avec difficulté
Partie 4 : Un beau corps féminin est un corps à l’air jeune voire enfantin et qui est sexualisé
Partie 5 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – le sourire
Partie 6 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la répression des désirs
Partie 7 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance physique
Partie 8 : Un beau corps féminin est un corps qui exprime l’abnégation – la souffrance morale
Partie 9 : Sorcières et féministes, quelques figures de la laideur féminine
Partie 10 : Universalité des idéaux de faiblesse 1
Partie 11 : Universalité des idéaux de faiblesse 2
Partie 12 : Conclusion
Supplément : la coercition à la beauté
Supplément : L’impuissance comme idéal de beauté en vidéo

Comme je l’ai dit en introduction de l’article précédent, le mythe de la beauté participe à la réduction de l’espace disponible pour les femmes. Cette réduction de l’espace présente deux aspects : 1. un espace personnel réduit (mis en exergue par un idéal de minceur) 2. une exploration de l’espace rendue difficile. Le premier aspect a déjà été traité, et cet article va donc parler de la valorisation d’une mobilité réduite chez les femmes.

Les femmes, notamment à cause du harcèlement de rue et de la peur des violences (notamment sexuelles), réduisent leurs mouvements dans l’espace public (voir par exemple :  le genre et l’espace, les mythes sur le viol et la liberté des femmesune ville faite pour les garçonsla ville durable creuse les inégalités ou encore la ville à l’épreuve du genre). Or les normes de beauté s’opposent également à l’exploration de l’espace par les femmes.

En effet, quel accessoire représente le plus la sensualité que les talons aiguille ? Et quelle tenue exprime plus la féminité que la jupe ? Nous verrons que ces accessoires de la féminité ont des effets néfastes sur la mobilité des femmes.

Modification de la posture et de la démarche

Les pieds sont la partie du corps des femmes qui est la plus fréquemment objet de fétichisme ; le fétichisme touche également beaucoup les chaussures1. Le fétichisme serait beaucoup plus répandu chez les hommes que chez les femmes (en tout cas dans les populations cliniques, le fétichisme étant encore considéré comme une maladie mentale), même si en l’absence de données sur la prévalence dans la population, l’ampleur de cette différence reste inconnue15,16. Les études montrent que, hommes comme femmes, trouvent les femmes plus attirantes quand elles portent des talons plutôt que des chaussures plates2. La probabilité qu’un homme entre en contact avec une femme augmente parallèlement avec la taille de ses talons3. Par ailleurs, une femme est jugée plus attirante si elle a des petits pieds4 (peut-être parce que des petits pieds évoquent l’enfance). Or les talons aiguille donnent l’illusion de pieds plus courts.

Pourtant les chaussures à talon réduisent très fortement la mobilité. Des mesures objectives confirment ce dont on se doute : les chaussures à talon haut sont le type le chaussure le plus instable, celles avec lesquelles le pied a le plus de risques de basculer si on le place mal5. Elles modifient l’ensemble de la posture, qui devient alors également plus instable, en remontant le centre de gravité vers le haut du corps6.

Par ailleurs, le talon aiguille modifie considérablement la démarche : il diminue la vitesse de marche et réduit la longueur des enjambées, forçant les femmes à marcher à petits pas7–9. La cadence est ainsi augmentée : les femmes sont obligées de faire un plus grand nombre de pas par minute2. Les femmes qui portent des talons présentent également plus de contraintes dans leur démarche (elles peuvent faire moins de mouvements)9. Elles ont également tendance à soulever le pied d’un bloc, plutôt que de faire un mouvement de bascule du talon aux orteilles9. De plus, les chaussures à talon rendent la marche quasiment impraticable sur des sols irréguliers comme des pavés. De manière générale, ces chaussures sont inconfortables et induisent une importante fatigue musculaire, ce qui réduit la mobilité de celles qui les portent6. Les douleurs chroniques aux pieds, ainsi que plusieurs problèmes orthopédiques (oignons, cors, durillons), sont plus fréquents chez les femmes âgées que chez les hommes âgés, ce qui pourrait être dû au moins en partie au port fréquent de chaussures  à talons hauts10 (dans les faits, c’est difficile à démontrer, car en Occident, et en particulier aux Etats-Unis quasiment toutes les femmes âgées ont porté à un moment où à un autre des talons aiguille17 ).

Notons que la démarche des femmes qui ont l’habitude de porter des talons hauts est durablement modifiée, même si elles marchent pieds nus11. En effet, leurs mollets sont plus sollicités durant une marche pieds nus, que ceux de femmes ne portant pas habituellement des talons. Leur démarche – même en l’absence de talons – est donc moins efficace, puisqu’elle requiert plus d’énergie pour faire le même trajet. Par ailleurs, ces modifications de la démarche pourrait conduire à termes à des troubles musculo-squelettiques10.

Au vu de ces faits, il n’est donc pas étonnant que le port de chaussures à talon (avec un talon d’au moins 2,5 cm) soit associé à un plus grand risque de chute. Cela a été démontré chez les femmes âgées (le risque est alors quasi-doublé)5, mais on peut supposer qu’il en va de même chez les femmes jeunes. Aux Etats-Unis, les femmes âgées de 20 à 29 ans sont celles qui connaissent le plus grand nombre de blessures (généralement des foulures ou des entorses) dues aux chaussures à talons (0.03% d’entre elles auraient été blessées de cette façon en 2011)10, probablement parce qu’elles en portent plus souvent que le reste de la population, ou parce qu’elles sont plus inexpérimentées. Par ailleurs, dans ce même pays, les blessures dues aux chaussures à talon auraient quasiment doublé en 10 ans avec une estimation d’environ 7000 blessures en 2002, contre 14 000 blessures en 2012 (et un pic en 2011 avec 19 000 cas)10. Notons qu’il y aurait une tendance vers des talons de plus en plus hauts, avec de plus en plus de créateurs proposant des talons supérieurs à 15cm.

De la même manière, une jupe serrée modifie la démarche des femmes : démarche plus lente, moins énergique, à petit pas, avec un soulèvement des pieds comme étant des blocs, une réduction du balancement des bras et une contrainte des mouvements9.

Une démarche de vulnérabilité

Quelques études ont cherché à déterminer quelles caractéristiques de la démarche donnent un air de vulnérabilité aux femmes9,12. Les auteur∙ices∙s font remarquer que les agresseurs n’attaquent pas leur victime au hasard, mais choisissent celles qui ont l’air le plus fragile. Iels ont pu établir, en montrant des vidéos de femmes marchant à des participant·e·s, que les femmes qui marchent lentement, à petits pas, de manière peu énergique, en soulevant les pieds comme étant d’un seul bloc, sans balancer les bras et en contraignant leurs mouvements, sont celles qui sont perçues comme les plus vulnérables. De la même façon, les femmes qui portent une jupe serrée (plutôt qu’un pantalon ou un legging) et/ou des talons hauts (plutôt que des chaussures plates) sont jugées comme étant plus vulnérables9. Si les femmes qui portent ces vêtements ont l’air plus vulnérables, ce serait justement parce que les jupes serrées et les talons aiguille modifient la démarche, conférant une apparence de fragilité à celles qui portent ces habits (et pas qu’une apparence, d’ailleurs, puisque ces vêtements restreignent réellement la mobilité).

Une auto-surveillance et un enfermement

Par ailleurs, la jupe, si elle est relativement courte, oblige à serrer les jambes en position assise, pour qu’on ne voie pas la culotte. Il y a quelques années, un témoignage avait fait grand bruit : une Néerlandaise racontait comment elle s’était faite interpeller par un policier à New-York, ce dernier l’accusant de distraire les automobilistes car elle portait une jupe en vélo… La peur de dévoiler ses sous-vêtements quand on porte une jupe à vélo est telle qu’elle a donné naissance à des stratégies comme l’astuce de la pièce et de l’élastique ou le développement d’une pince spéciale appelée « Poupoupidou ». Le risque de dévoilement causé par la jupe à vélo explique également pourquoi les vélos pour femmes n’ont pas de barre horizontale.  Pour la même raison, la jupe oblige à adopter une certaine position quand on se baisse. Il faut aussi prendre garde à ce qu’elle ne se soulève pas les jours de grands vents. De même, le jean taille-basse, risque de dévoiler les fesses de celles qui le portent si elles ne font pas assez attention à la manière dont elles se baissent… En d’autres termes, la jupe et d’autres vêtements féminins obligent les femmes à constamment faire attention à leur posture, afin de ne pas dévoiler ce qui ne doit pas l’être. On retrouve donc l’idée d’autodiscipline constante : comme la surveillance du poids, certains vêtements féminins induisent une auto-surveillance permanente de sa posture chez les femmes, aboutissant à une contrainte de mouvements et une perte de mobilité.

femme tour

La beauté, un enfermement pas que physique…

Cette auto-surveillance, générée par ces vêtements mais également par d’autres pratiques comme la surveillance du poids est une forme d’enfermement mental. Les talons aiguille empêchent les femmes de se mouvoir facilement, mais devoir constamment vérifier sa posture, son alimentation, sa coiffure ou son maquillage interdit également leur esprit de s’aventurer dans divers domaines, intellectuels, artistiques ou relationnels. Comment facilement approfondir certains sujets, développer des performances (artistiques, sportives…), ou aller à la rencontre d’autrui, quand notre esprit est totalement ou partiellement occupé à surveiller notre corps ? La réduction de la mobilité physique provoquée par les pratiques de beauté s’accompagne donc en quelque sorte d’une réduction de la mobilité psychologique. Les femmes qui veulent vraiment être belles et y consacrer les efforts nécessaires ne peuvent pas laisser leur esprit vagabonder à d’autres choses. Les études de psychologie sociale vont dans ce sens, puisqu’il a été montré que les femmes qui ont tendance à voir leur corps comme un objet et qui sont donc plus préoccupées par leur apparence, sont en moyenne peu ouvertes à l’expérience13. L’ouverture à l’expérience est un trait de personnalité qui comprend la curiosité intellectuelle, ainsi que l’ouverture aux rêveries et aux sentiments. De plus, en situation « auto-objectivante » (une situation qui pousse à plus se percevoir comme un objet sexuel et par conséquent à plus se surveiller), comme lorsqu’on porte un maillot de bain, les performances à des exercices intellectuels (comme un test de mathématiques) diminuent14. Tout cela suggère bien que l’auto-surveillance induite par le mythe de la beauté consomme beaucoup d’énergie mentale, qui ne peut donc pas être allouée à d’autres activités.

En conclusion, est-ce vraiment un hasard si les chaussures et vêtements « sexy » et « féminins » sont ceux qui restreignent la mobilité des femmes, et leur donne une démarche peu assurée ? On peut supposer que c’est justement cette vulnérabilité conférée par ces vêtements, cette démarche incertaine et instable, qui est érotisée et qui rend donc les femmes « belles ». Nous verrons néanmoins plus tard que les talons aiguille, et les vêtements féminins (souvent serrés ou dévoilants), mettent également en avant les parties sexualisées du corps des femmes (hanches, fesses).

Références

  1. Scorolli, C., Ghirlanda, S., Enquist, M., Zattoni, S. & Jannini, E. A. Relative prevalence of different fetishes. Int J Impot Res 19, 432–437 (2007).
  2. Morris, P. H., White, J., Morrison, E. R. & Fisher, K. High heels as supernormal stimuli: How wearing high heels affects judgements of female attractiveness. Evolution and Human Behavior 34, 176–181 (2013).
  3. Guéguen, N. High Heels Increase Women’s Attractiveness. Arch Sex Behav 44, 2227–2235 (2014).
  4. Fessler, D. M. T. et al. A Cross-Cultural Investigation of the Role of Foot Size in Physical Attractiveness. Arch Sex Behav 34, 267–276 (2005).
  5. Tencer, A. F. et al. Biomechanical Properties of Shoes and Risk of Falls in Older Adults. Journal of the American Geriatrics Society 52, 1840–1846 (2004).
  6. Lee, C.-M., Jeong, E.-H. & Freivalds, A. Biomechanical effects of wearing high-heeled shoes. International Journal of Industrial Ergonomics 28, 321–326 (2001).
  7. Menant, J. C., Steele, J. R., Menz, H. B., Munro, B. J. & Lord, S. R. Effects of walking surfaces and footwear on temporo-spatial gait parameters in young and older people. Gait & Posture 29, 392–397 (2009).
  8. Merrifield, H. H. Female Gait Patterns in Shoes with Different Heel Heights. Ergonomics 14, 411–417 (1971).
  9. Gunns, R. E., Johnston, L. & Hudson, S. M. Victim Selection and Kinematics: A Point-Light Investigation of Vulnerability to Attack. Journal of Nonverbal Behavior 26, 129–158 (2002).
  10. Moore, J. X., Lambert, B., Jenkins, G. P. & McGwin, G. Epidemiology of High-Heel Shoe Injuries in U.S. Women: 2002 to 2012. J Foot Ankle Surg 54, 615–619 (2015).
  11. Cronin, N. J., Barrett, R. S. & Carty, C. P. Long-term use of high-heeled shoes alters the neuromechanics of human walking. Journal of Applied Physiology 112, 1054–1058 (2012).
  12. Murzynski, J. & Degelman, D. Body Language of Women and Judgments of Vulnerability to Sexual Assault. Journal of Applied Social Psychology 26, 1617–1626 (1996).
  13. Miner-Rubino, K., Twenge, J. M. & Fredrickson, B. L. Trait Self-Objectification in Women: Affective and Personality Correlates. Journal of Research in Personality 36, 147–172 (2002).
  14. Fredrickson, B. L., Roberts, T. A., Noll, S. M., Quinn, D. M. & Twenge, J. M. That swimsuit becomes you: sex differences in self-objectification, restrained eating, and math performance. J Pers Soc Psychol 75, 269–284 (1998).
  15. Mason, Fiona L. « Fetishism: Psychopathology and theory. » Sexual Deviance: Theory, Assessment, and Treatment. New York: Guilford (1997): 75-91.
  16. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders:: DSM-5. ManMag, 2003.
  17. Dawson, J., Thorogood, M., Marks, S. A., Juszczak, E., Dodd, C., Lavis, G., & Fitzpatrick, R. (2002). The prevalence of foot problems in older women: a cause for concern. Journal of Public Health, 24(2), 77-84.

34 réflexions sur “L’impuissance comme idéal de beauté des femmes – une mobilité réduite

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  4. Merci pour cette article.

    Les talons étaient sous l’Ancien Régime un des marqueurs de l’aristocratie. Il était porté par les femmes, mais aussi les hommes. Voir les représentations des cours et des rois chaussés de talons.

    Ils ont été bannis (comme les perruques et le maquillage masculin) après la Révolution, car symboles aristocratiques.

    Comment expliquer que par la suite cette chaussure est devenue un marqueur de féminité; alors qu’initialement elle marquait un privilège de classe ? Avez-vous des pistes?

    On pourrait dire la même chose pour le maquillage.

    • Bonjour et merci de votre commentaire.

      Je pense qu’une première chose à remarquer, c’est que les talons des hommes aristocrates ne sont pas les mêmes que ceux que les femmes portent actuellement. Ils étaient moins hauts et plus épais (pas des talons aiguille) ; au final ces chaussures n’étaient pas si différentes de certaines chaussures masculines actuelles à talonnettes…

      Donc je ne suis pas sûre que ce soit exactement la même chose qui était valorisée chez les hommes aristocrates par rapport aux femmes actuelles dans le port de ces talons. Je ne crois pas que les chaussures que portaient ces hommes étaient autant instables. Après, elles étaient sans doute peu pratiques quand même : mais les valeurs dominantes n’étaient pas le même que celles d’aujourd’hui. L’oisiveté était valorisée, et donc les vêtements peu pratiques (signe qu’on n’a pas besoin de travailler).

      Idem pour le maquillage : celui porté par les femmes n’est pas le même que celui des aristocrates, à ma connaissance. Le maquillage des femmes sert à plusieurs choses, notamment à agrandir artificiellement les yeux (et donc à avoir un air plus juvénile). Celui des aristocrates permettaient avant tout d’accentuer un teint blanc qui permettait de se distinguer du peuple.

      Voici quelques unes de mes hypothèses. Mais je ne suis pas une spécialiste de l’habillement à cette époque, donc ça reste assez spéculatif :). Il faudrait voir ce qui a été écrit à ce sujet.

      • Merci pour vos observations.

        Les aristocrates de l’Ancien Régime se maquillaient pour imiter les princes orientaux, considérés comme prestigieux et civilisés à l’époque (indiens, ottomans, perses, moghols…) car dans ces cultures (comme dans l’Egypte pharaonique et Babylone) le maquillage est mixte. D’ailleurs, certains hommes arabes et indiens se teignent encore les mains avec du henné et se maquillent les yeux au khôl.

        Pour revenir à vos réflexions, je me demande si les injonctions de plus en plus pesantes sur le physique des femmes sont de « vengeances ». Même si la domination masculine est toujours bien en place (et sournoise), en quelques décennies, les femmes ont obtenu des postes de pouvoirs, ont intégrés des études et des professions il y a peu réservées aux hommes. Et tous les autres droits relatifs au corps et à la sexualité (contraceptifs, IVG, plus de virginité pour le mariage ou de mariage arrangé, ect). Les renvoyer à leur apparence est encore un moyen de garder le contrôle sur elles. Et donc de diminuer la puissance politique et sociale qu’elles sont en train de conquérir?

        D’ailleurs on le voit, les femmes politiques (celles qui ont intégrés les postes traditionnellement masculins) sont toujours renvoyées à leur apparence. On reproche à certaines d’être « grosses » ou de ne pas être féminines (si elles optent pour des vêtements sobres) et à d’autres de porter des robes.

        « Etre homme c’est agir, être femme c’est paraître. Les hommes regardent les femmes alors que les femmes s’observent en train d’être regardées.(…)Le surveillant intériorisé est perçu en tant qu’homme et l’être surveillé en tant que femme. C’est ainsi que la femme se transforme en objet et plus particluièrement en objet du voir: un spectacle. »

        John Berger « Voir le voir »

        • Oui, je partage tout à fait votre analyse de « vengeance ». Enfin, pas sûr que « vengeance » soit le bon terme, mais je pense que la beauté est un moyen de limiter les droits obtenus par les femmes.

  5. Dans mes souvenirs, les talons ont également été un marqueur des prostituées, dans l’Italie de la fin XVe, début XVIe au moins. Cela leur permettait d’être visibles et reconnaissables, ce qui était parfois obligatoire d’un point de vue légal d’ailleurs.

      • J’avais lu cela il y a longtemps, néanmoins une brève recherche me donne confirmation dans par exemple ces ouvrages et articles :
        « Italy in the Age of Renaissance » de J. M. Najemy
        « The Civilization of the Italian Renaissance: A Sourcebook » de K. R. Bartlett
        « The Florentine Onesta and the control of Prostitution, 1403-1680 » de J. K. Brackett

        Ce que je retiens de la brève lecture d’extraits de ces livres, c’est que l’Italie de la fin du Moyen-Âge, début Renaissance, a attribué des lois somptuaires spécifiques aux prostituées (il y a ici un parallèle à faire avec les lépreux et les juifs par ailleurs). Ces lois somptuaires ont commencés à se faire dans le Nord de l’Italie, mais ce sont globalement répandues dans le reste de la botte, avec plus ou moins de vitesse et d’imitation. Florence est une des dernières cités d’importance à les mettre en place en s’inspirant des autres villes. En général, ce qui est courant, c’est le port obligatoires de trois éléments : des clochettes dans les cheveux, des gants rouges ou de couleur vive et des chausses à talons hauts. Ceci se développe au XIVe et XVe siècle.

        Ces lois sont surtout présentes en Italie, néanmoins, étant donné l’influence de la péninsule dans les siècles suivants, on peut supposer que d’autres pays s’inspirent eux aussi de ces lois somptuaires.

        Néanmoins, comme cela a été dit ailleurs, l’aristocratie se mettant elle aussi à porter des talons à partir du XVIe siècle, dans l’Angleterre, l’Empire et la France en particulier, on peut se dire que les talons commencent à ne plus être associer aux prostituées à ce moment là, les deux classes ne pouvant raisonnablement pas porter les mêmes vêtements. J’aurais donc tendance à dire que cela commence comme éléments propre aux prostituées, au moins en Italie, avant de devenir un élément de l’aristocratie.

        On peut aussi souligner que les talons étaient utilisés pour faciliter l’équitation (plus facile pour mettre pied à l’étrier), ce qui souligne leur usage par les hommes et par les militaires. Comme vous l’avez également dit, les talons de l’époque étaient généralement beaucoup plus épais et larges et ne gênaient pas forcément autant la marche que les talons modernes.

        Lien vers l’article de Brackett :

        Cliquer pour accéder à Onesta%20and%20Control%20of%20Prostitution.pdf

        • Bonjour, est-ce que vous savez ce que représentent ces talons imposées aux prostituées (ya t-il une symbolique ?) et pourquoi ils tenaient tant à distinguer cette classe en particulier (était ce une institution créée par l’État par exemple -ce qui donc confirmerait que l’institution culturelle précède la pratique-?) ? Merci!

          • Je vais y aller de mon interprétation personnelle, donc ajoutez-y du sel si nécessaire. Pour moi, les talons servent à faire  »ressortir » les prostituées, ils les rendent plus visibles et identifiables, ceci d’autant que ces talons étaient assez grands (dans les 8-10cm). C’est la même logique que les grelots: permettre d’identifier d’un coup d’œil (ou d’oreille) la présence de prostituées. Pour moi le but est donc avant tout utilitariste et non symbolique. C’est fait pour la simple raison que la prostituée n’est pas une personne ordinaire, son existence même est une atteinte aux bonnes mœurs, c’est une personne amorale de la même manière que la femme adultère. Signaliser les prostituées de cette manière permet donc de les séparer des femmes de bonne vertu, c’est une matérialisation de la dialectique de  »la mère et la putain ».
            Et non, les prostituées ne sont pas  »créées par l’État » ou gérées par celui-ci en tant que classe ; elles sont considérées néanmoins comme divergentes de l’ordre moral et donc astreintes à signalement. C’est l’activité qui est marquée par les lois somptuaires, elle précède le marquage vestimentaire. De la même manière les lépreux et les juifs avaient par exemple des lois somptuaires spécifiques qui visaient à les distinguer du  »reste de la population ». Comme pour les prostituées, on considérait qu’il ne fallait pas leur permettre de se mêler trop facilement avec les  »bonnes gens », pour différentes raisons.
            Ces mesures servent à la fois à réguler l’adultère masculin, qui est admis avec les prostituées et également à renforcer la moralité des femmes mariées, qui sont alors identifiables en tant que  »non-prostituées ». C’est aussi pour  »protéger » les  »bonnes dames » pour qu’elles ne soient pas confondues par erreur avec des prostituées et donc atteintes dans leurs vertus par des propositions indécentes (mal-identifier une classe sociale pouvant conduire à des combats à mort) – non pas que ça fonctionnait en pratique hein, G. Vigarello signale que les enfants et les femmes mariées étaient malgré tout harcelé-e-s et violentés sexuellement dans les rues…

            Étant donné l’hypocrisie du Patriarcat d’Ancien Régime, il y a à la fois une reconnaissance et une forme de tolérance de la prostitution en même temps qu’une stigmatisation sociale et matérielle, ainsi qu’un manque complet de protections (vu qu’elles sont considérées comme amorales et donc de fait sans valeur sociale). Non pas que cela ait vraiment beaucoup changé de nos jours.

          • De mes lectures, j’ai l’impression qu’à quasiment toutes les époques, il y a eu la volonté de rendre les prostituées bien distinguables des autres femmes. Probablement pour signaler qu’il s’agit d’une classe de femmes différentes des autres, comme le dit lepieddenez. Ce ne sont pas des objets sexuels privés (épouses), mais publiques ; ce statut spécifique doit être signalé.

  6. Merci pour cette série d’articles très intéressante.

    En ce qui concerne la ville cyclable et le genre, il y a eu une analyse opposée : à savoir que des aménagements cyclables bien pensés se traduisent justement par une proportion importante de cyclistes femmes. L’article : http://www.scientificamerican.com/article/getting-more-bicyclists-on-the-road/

    On peut émettre l’hypothèse qu’une ville durable bien pensée sera attractive justement autant pour les femmes que pour les hommes.

    Pour ce qui est de la diminution des capacités cognitives quand on est préoccupée de son corps, une forte joueuse d’échecs avait attiré mon attention là-dessus en me confiant qu’elle était persuadée que l’incitation pour les joueuses d’être attentives à leurs attitudes, à leur maintien, etc. devant l’échiquier diminuait leurs performances.

    Il ne s’agit que d’un avis d’une joueuse, il n’y a pas eu d’étude sur ce point précis à ma connaissance, et sans doute que toutes les joueuses ne ressentent pas cette incitation, mais il me semble que ce n’est quand même pas anodin.

    • Merci de votre commentaire.

      Je pense qu’en effet, l’effet des aménagement durables dépend de comment ils sont mis en place. A Bordeaux, d’après ce que j’ai lu, les besoins des femmes (notamment : le besoin de se sentir en sécurité) ont été totalement ignorés au cours du projet pour rendre la ville plus durable. Aux Etats-Unis, il semblerait qu’en s’intéressant à ce que veulent les femmes, on les incite à prendre le vélo.

      Je pense que l’hypothèse de cette joueuse d’échecs est tout à fait possible. Je n’ai pas cherché s’il existait d’études à ce sujet, mais ça ne m’étonnerait pas. En tout cas, l’effet de l’auto-objectivation sur les capacités cognitives a été démontré…

  7. Bonjour,

    Déjà merci pour cet article et pour votre blog passionnant qui m’a beaucoup appris et apporté.

    En lisant cet article, j’ai tiqué sur cette phrase : « en Occident quasiment toutes les femmes âgées ont porté à un moment où à un autre des talons aiguille ». Sur quelles sources basez-vous cette affirmation? Les femmes occidentales âgées de ma famille n’ont jamais porté de talon aiguille pour la plupart et cette affirmation m’étonne beaucoup…

    • Bonjour,
      J’aurais dû écrire « aux Etats-Unis »… Je vais corriger cela.
      En effet, une étude (Dawson 2002) a essayé de démontrer l’impact du port de chaussures à talon sur l’apparition d’oignon, mais a rencontré des difficultés pour cela parce que quasiment toutes les femmes de leur échantillon ont porté des chaussures à talon : http://jpubhealth.oxfordjournals.org/content/24/2/77.short

      C’est à cela que je faisais référence.

      Néanmoins entre temps, j’ai trouvé d’autres études qui arrivent à démontrer un effet du port à talon sur l’apparition d’oignon.

  8. Merci beaucoup pour cette série d’articles, cela fait du bien de pouvoir mettre des mots ou de mieux comprendre des ressentis, des attitudes de notre personnalité.

  9. Pingback: Style – 4 styles que j’aime mais qui ne sont pas pour moi |

  10. Bonjour, Merci pour vos articles passionnants.
    Je souhaitais demander des precisions concernant l’idee selon laquelle les agresseurs s’attaqueraient plutot a des femmes vulnerables car je me demande de quel type de vulnerabilite il s’agit reellement. Il y a quelque temps de cela, j’avais lu un article qui, sans citer de sources, affirmait que l’idee selon laquelle les agresseurs s’attaqueraient a des femmes portant des habits qui epousent ou revelents les parties sexualisees du corps, constituerait un mythe sur le viol pouvant servir a rejeter la faute sur la victime. L’article affirmait que c’etait en fait la vulnerabilite psychologique (manque d’assurance et degout de soi se traduisant souvent par le port de nombreuses couches vestimentaires pour dissimuler le corps) qui etait visee par les agresseurs, et non la vulnerabilite d’un demarche induite par des habits contraignants et sexualisants. Auriez-vous davantage d’information a ce sujet?

    • Bonjour et merci de votre commentaire.

      Votre question n’est pas facile et je vais essayer du répondre du mieux que je peux.

      je me demande de quel type de vulnerabilite il s’agit reellement

      Je pense que la vulnérabilité regroupe différents niveaux.
      ==> Déjà, les victimes sont plus souvent des personnes vulnérables sur un plan « sociologique », c’est-à-dire appartenant à des catégories de la population qui sont défavorisées : les personnes pauvres ou handicapées sont par exemple plus souvent victimes de viol. Comme je l’ai écrit dans un de mes articles ( https://antisexisme.net/2013/02/17/les-cultures-enclines-au-viol/ ) : « les femmes handicapées ont trois fois de risques d’être violées que les femmes valides et les femmes très pauvres, quatre fois plus de risques que les autres femmes ». A noter également que les mineures (qui ont moins de droits, sont vulnérables) sont également plus fréquemment victimes.

      ==> Il y a également une vulnérabilité « psychologique » : les personnes qui ont été victimes de viol ont ensuite plus de chance d’être à nouveau victimes. On appelle ça la « revictimisation » et effectivement, il semblerait que l’une des explications est que les agresseurs « sentent » les personnes vulnérables psychologiquement. Les personnes qui ont été victimes pourraient exprimer inconsciemment, dans leur comportement (démarche, posture…) plus de peur, moins de confiance en elles, etc., et les agresseurs sont sensibles à cela.

      ==> Je pense aussi à la vulnérabilité « situationnelle » : en soirée alcoolisée, les agresseurs recherchent par exemple les femmes ivres, voire essayent de les faire boire pour les rendre plus vulnérables. Les incesteurs agressent toujours quand ils sont seuls avec la victime, et choisissent donc les moments où la victime est la plus vulnérable car non entourée de personnes pouvant la protéger (ce qui contredit d’ailleurs la thèse des pulsions incontrôlables…)

      l’idee selon laquelle les agresseurs s’attaqueraient a des femmes portant des habits qui epousent ou revelents les parties sexualisees du corps, constituerait un mythe sur le viol pouvant servir a rejeter la faute sur la victime.

      Effectivement, l’idée selon laquelle les femmes exciteraient les hommes avec leurs vêtements dévoilants, et que ces derniers seraient alors pris de pulsions incontrôlables, est un mythe sur le viol qui dédouane l’agresseur et transfère la culpabilité sur la victime. Il me semble avoir lu (mais je ne me rappelle plus où) que les violeurs se souviennent en fait rarement de la tenue de leur victime, ce qui semble bien indiquer que ce n’est pas la tenue le principal facteur excitant. Et même au-delà de ça, n’importe quel humain est capable de se contrôler, même s’il est excité par un vêtement.

      Peut-être que cela peut sembler en conflit avec mon paragraphe où j’explique que les talons aiguille et les jupes étroites confèrent une démarche de vulnérabilité aux femmes.. En effet, j’évoque le fait que les auteurs/autrices de l’étude supposent que les talons aiguilles peuvent être un facteur de risque pour les agressions (car ils donnent une impression de vulnérabilité ==> attirent les agresseurs). Mais c’est en fait une hypothèse, ce n’est pas prouvé… Et je pense que le propos des auteurices n’est pas du tout du même ordre que l’idée développée dans le mythe sur le viol cité ci-dessus. L’idée n’est absolument pas de dire que les victimes sont responsables de quoique ce soit parce qu’elles « provoquent » chez les hommes des pulsions incontrôlables. L’idée est plutôt au contraire de souligner l’aspect « prédateur » des agresseurs, leur recherche de victimes vulnérables. Et de faire l’hypothèse que certains vêtements/accessoires peuvent peut-être accentuer l’air vulnérable des femmes…

      J’espère que ma réponse vous convient

  11. bonjour, le port du talon aiguille est mixte les hommes en portés avant aussi , je suis persuadée que la féminité et la virilité n’existent pas et que c’est culturel et une histoire de mode et marketing, car il suffit qu’un homme soit de race arabe ,écossaisse ou bien ecore japonaise ou américaine pour que celui ci puisse porter une jupe, tout le monde trouve cela normal mais un français en jupe ohlalala, de même une femme en jean ,jogging / basket est ultra féminine car elle n’a pas changer de sexe il n’ya pas de modele de féminité ni de virilité et les vêtements jogging basket sont unisexes car le port du pantalon a été autorisée et épouse les courbes féminines donc arretez de dire que c’est masculin car ça va pas à tout les mecs le jogging les incultes ,les femmes new-yorkaises peuvent sortir topless à new York ou se balader e , en jogging ou basket sans être perçues comme masculine ou lesbienne etc aux états unis les jogging basket sont devenus mixtes , d’ailleurs et je n’exagere pas mais toutes les américaines et françaises sortent en jogging/ baskets sauf que contrairement aux états unis le jogging est résté un vêtement masculin pour les français , même les transgenres femme portent des joggings basket ni de maquillage et ne caricature plus la femme en jupe talon, en france peu de femme osent avouer qu’elle n’aime pas les jupes .

  12. bonjour écoutez moi les gens , le talon aiguille , la jupe et le maquillage se sont genrés à partir de la dictature de la mode; Dans le temps les hommes portés tous des talons, du maquillage, des perruches et des cheveux longs ,l’équitation était un sport que masculin maintenant il est féminin, un jour la mode a voulu dissocier les genres pour pouvoir les différenciés et ont imposés la dictature de la mode tout courtet la séparation masculine et féminine , ils ont crées une nouvelle image de la virilité et de la féminité en lançant des pantalon chez les hommes et ont fait disparaître les jupes masculines, avant la mode les hommes hauts placés de l’époque ont lancés une loi pour obliger le pantalon à l’ homme pour pouvoir différencier un homme d’une femme , aujourd’hui c’est pas mal vu et la majorité des hommes ont les cheveux longs dieu merci ,parfois un homme qui a les cheveux longs est confondu avec une femme et vice versa une femme avec les cheveux longs peut etre prise pour un homme ,les cheveux longs ou courts sont devenue mixte et c’est bien, certains l traite de gay les cheveux longs alors que si lepoil était vraiment masculin il ne pousserait pas sur la femme adulte les cheveux longs ne seraient pas attribués aux femmes vus que ce sont des poils au meme titre que les cils et les sourcils pareil une femme en jogging sera parfois confondu avec un homme car le jogging est unisexe , certains machistes traitent les pro jogging basket de garçon manqué je deteste cette expression machiste alors que pourtant les baskets et le jogging ne sont pas exclusivement masculin, le port du jogging est mixte allez dire à une américaine qu’elle est masculine en jogging elle ne vous comprendras pas car le jogging n’est pas associé au genre masculin les américaines s’habillent en jogging et sortent seins nus les hommes la bas se maquillent pour l’égalité des sexes suivez leur exemple et n’oubliez pas que féminité et virilité ne sont que des inventions sociales .

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  16. https://polldaddy.com/js/rating/rating.jsMerci encore une fois pour cet article, j’apprécie beaucoup votre blog.
    Par chance, je n’ai jamais eu à porter de talons aiguilles dans la vie quotidienne et j’espère que cela ne me portera pas préjudice dans ma future carrière professionnelles car je ne pourrai pas supporter le port de ces chaussures.
    Il y a également un autre attribut féminin qui m’a ennuyé et que j’ai toujours refusé de porter durablement (malgré les insistances de ma mère) c’est le sac à main ! J’ai toujours été saoulée par l’entrave à mes mouvements que cet objet avait, d’autant plus que les hommes se contentent de poches. Malheureusement, il me faut être plus vigilante lors des choix de mes vêtements car les poches sont souvent petites, voire certains pantalons ont de fausses poches (chose dont on se rend compte uniquement une fois à la maison –‘). Je rêve également du jour où la poche intérieure sera systématique sur les vestes et manteaux féminins (quand même plus pratique pour foutre son porte-feuille que les poches ouvertes sur le devant du vêtement).

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